[ LA LANTERNE DES MORTS ]

   


LA LANTERNE DES MORTS

DPLG 2006
Site : Paris - Montparnasse
Programme : Funérarium, crématorium et columbarium
Surface : 6 000m²
- Longueur bâtiment : 40m - Largeur bâtiment : 40m - Hauteur : 24m

Contexte :
Difficile d’admettre que les métropoles sont anthropophages mais c’est pourtant bel et bien le cas. En effet ces grandes cités consument la vie des hommes et des femmes qu’elles attirent, avant de les rejeter morts, dans les banlieues, ou dans les provinces si leur famille a été à même de préparer leur retour.
La lutte pour conquérir la moindre parcelle de terrain étant devenue impitoyable et les prix du foncier étant exorbitants pour loger les vivants, on ne peut plus songer au cimetière paysager classique et romantique hérité du XVIIIe siècle. La ville n'a plus les moyens de cet espace mortuaire où la “dernière demeure” s'inscrit dans un paysage naturel pour le repos de l'âme.
Il faut dès maintenant trouver de nouvelles réponses au problème de la saturation des cimetières. Ces réponses ne peuvent pas être seulement apportées par une nouvelle gestion des cimetières existants, mais il faut penser à une nouvelle structure spatiale, adaptée à nos nouvelles conditions humaines et urbaines.
Si aujourd’hui nous pouvons penser autrement les cimetières, c’est que les mentalités en sont venues petit à petit à nous l’autoriser et surtout que la nécessité culturelle et économique s’en fait sentir. Les familles se sont éparpillées et il est devenu difficile de savoir où leurs membres vivront et mourront, où ils auront envie de reposer. Pour une famille, investir dans un monument funéraire ne signifie plus l’immortalité familiale. En outre, la crémation est davantage admise et pratiquée. Si, chez les tziganes, la crémation crée les conditions d’un volontaire et immédiat oubli, dans les pays de la tradition occidentale, elle ouvre sur un autre monde symbolique du souvenir où les religions ne trouvent pas toujours leur compte. Elle débouche sur une nouvelle relation à la mémoire et occasionne la conception de supports matériels différents, car, même si les cendres ont été dispersées, les amis et les familiers réclament une trace de celui ou de celle qui est parti.
Il faut donc penser à une nouvelle architecture funéraire, conçue comme un équipement et monument de la mémoire collective, pour donner une place aux morts parmi les vivants.
L'horizontalité étant proscrite, reste l'autre dimension, la verticalité.
Plutôt que des cimetières verticaux en forme de tour, j'ai cherché une structure de proximité qui permettra de retrouver une certaine familiarité avec la mort dans la mesure où, comme l'a montré l'historien Michel Vovelle, notre siècle a institué un tabou sur la mort qui l'a de plus en plus exclue des pratiques sociales.

Choix du site :
Trouver un site en plein Paris pour un projet de complexe funéraire, dans lequel nous retrouverons un funérarium, un crématorium et un columbarium, n’est pas chose aisée pour un certain nombre de contraintes et « nuisances » que l’on peut facilement deviner.
En effet tout en souhaitant insérer cet équipement nouveau en milieu urbain, le site doit être d’une superficie suffisamment importante pour accueillir un bâtiment de volume relativement imposant tout en réservant une grande part de la surface du terrain à l’aménagement d’un espace paysagé extérieur destiné à la création d’un jardin cinéraire, indispensable dans ce type d’équipement.
De plus je souhaitais que le terrain se situe sur un grand axe de circulation dans un quartier « vivant » ou de forte fréquentation, à proximité de l’un des trois grands cimetières parisiens intra-muros (Père-Lachaise, Montparnasse, Montmartre) puisque le programme ne concerne pas exclusivement la crémation mais une partie peut également être liée à l’inhumation « traditionnelle » tant que cette pratique est encore possible. Le choix pour le cimetière Montparnasse fût vite une évidence puisque seul ce cimetière ne possède aucun réel équipement funéraire (celui du Père-Lachaise possède déjà son crématorium/columbarium et un funérarium à proximité, d’autre part le funérarium des Batignolles est dans le secteur du cimetière de Montmartre).
Le projet s’installe donc au niveau du métro Raspail, à l’angle du boulevard Raspail et de la rue Campagne première, dans l’axe de l’avenue Edgar Quinet, face au cimetière et à la tour Montparnasse.

Le projet :
Le plan carré de l'enveloppe en verre et la simplicité du cube en béton créent un contraste entre le lourd et le léger en termes aussi bien figuratifs que métaphoriques. Le cube en béton symbolise le rattachement à la Terre (le matériel, le corps) tandis que l'enveloppe de verre symbolise la libération ou l'ascension de l'âme, le retour à la nature (l'immatériel, le spirituel).
Le bâtiment est de conception à la fois massive et dense, et d'esthétisme extrêmement simple dans le but de créer un lieu de sérénité, un espace qui pour sa sobriété et son aspect à la fois monumental et minimaliste soit représentatif de sa fonction, et appuie de cette façon la nature “définitive et implacable” de celle-ci pour en faire un édifice reconnaissable et identifiable, un bâtiment imposant mais accueillant. Représentatif également de sa neutralité, puisque celui-ci se doit de n'afficher aucune tendance religieuse particulière.
Cependant, sa fonction, son usage, l'affirmation de sa spécificité, poussent à lui donner un aspect particulier basé sur une symbolique forte.
La partie supérieure du bâtiment correspondant au columbarium est un jardin suspendu composé de plateaux " flottants " végétalisés reliés par des jeux d'escaliers et de rampes permettant une véritable promenade. Ces plateaux reposent sur une structure poteaux-poutres métallique.
Au sol, des dalles carrées de béton perforées desquelles jaillit une végétation plus ou moins dense, tracent et délimitent les zones de circulation et les espaces plus intimistes, accueillant les urnes cinéraires, permettant le recueillement et l'isolation des visiteurs.
Ces différents espaces sont de formes souples, contrastant avec la rigidité apparente de l’enveloppe générale, afin de tracer un parcours agréable invitant à la promenade et à la déambulation comme on pourrait le faire dans un jardin extérieur traditionnel. Outre ces rideaux de végétaux, des arbres à développement moyen et des « fontaines » ponctuent les espaces.
Tous ces plateaux " flottants " sont différents et permettent ainsi des jeux d'ombre et de lumière filtrée par les façades en claustra de bois de trame carrée.
Le cube central, en béton banché gris, qui est le hall d'accueil des familles endeuillées est plus sombre et l'aspect massif et brut du béton lui confère à la fois plénitude, dignité, humilité, tout en jouant le rôle de rempart protecteur face à la brutalité de la vie urbaine. Des failles verticales et une ouverture au plafond filtrent la lumière du jour.
La journée, l'ambiance du columbarium évolue au rythme de l'ensoleillement, sans éclairage artificiel. Cet espace ferme ses portes à la tombée de la nuit comme tout square ou parc parisien.
La nuit, cette boîte de béton joue le rôle de veilleuse ou de lanterne des morts en éclairant le columbarium d'une lumière diffuse.
De la rue, le bâtiment fait penser à une lampe japonaise.
Au sous-sol se trouvent les salons de cérémonie du crématorium, les chambres mortuaires du funérarium et toutes les installations techniques. Les espaces dédiés aux familles sont habillés de matériaux chauds, comme le bois, et sont inondés d'une lumière plus diffuse favorisant l'introspection et le recueillement.

Remerciements à Pamela Durasamy et Alexandre Roubaud pour l'image 3D.

 

Alexandre Margéot